Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, Chers Amis,
Alphonse de Lamartine écrivait: Quel que soit le destin qui couvre l’avenir Terre enveloppe- toi de ton grand souvenir. Que t’importe où s’en vont l’Empire et la Victoire Il n’est point d’avenir égal à ta mémoire.
Ici, à Birkenau, vous avez foulé cette terre de mémoire, vous avez suivi les pas des suppliciés sur le sol- même d’où ils devaient regarder la mort dans les quelques minutes qui la précédaient. Vous avez pu vous imprégner des sentiments de peur, de panique extrême qui devaient les étreindre en s’approchant des crématoires, sur les ruines desquels plane une brume accusatrice. Ici, à Birkenau, la plus monstrueuse des usines de la mort, à la technologie de pointe, était mise au service d’une idéologie meurtrière pour exterminer des centaines de milliers d’êtres humains. Trois pour cent des Juifs déportés dans l’ensemble des camps d’extermination nazis en sont revenus, et dans quel état?
Le sort commun de tout Juif déporté était d’entrer par la porte que nous avons franchie en pénétrant à Birkenau et de sortir par le cratère des cheminées dont nous côtoyons les ruines, détruites par ceux-mêmes qui les avaient construites afin d’effacer aux yeux du Monde leurs horribles forfaits.

Combien de Jésus, de Marx ou d’Einstein ont disparu à jamais dans les volutes des crématoires?
Nous avons le privilège d’avoir à nos côtés, un survivant, notre Président, Benjamin Orenstein, Ne vous y trompez pas, ce privilège est rare, 1 300 000 Juifs ont péri, ici, à Birkenau, plus de trois fois le nombre d’habitants de la ville de Lyon.

Ce camp était pensé, programmé, construit, organisé pour être l’outil le plus performant de la solution finale, ce concept d’extermination mûri dans le cerveau du dictateur fou qu’était Hitler. Mais que cet arbre ne cache pas la forêt faite de zélés collaborateurs, des dignitaires au plus humble kapo qui permettaient à cet outil d’être aussi performant.

Ici, comme à Belzec, Chelmno, Sobibor, Treblinka, l’implacable bureaucratie où les pervers côtoyaient les médiocres, était en marche pour briller aux yeux du Furher Les Juifs n’avaient pas de place dans la hiérarchie Nazie, eux qui par le passé avaient donné à l’Allemagne, philosophes, savants, musiciens, n’étaient même pas considérés comme de race inférieure, c’étaient des non-êtres.

Cette dialectique peut vous faire comprendre comment des crimes affreux, des actes contre nature, ont pu être commis, les bourreaux n’exterminaient pas des êtres vivants, ne les traitaient pas comme des animaux comme certains l’ont écrit, non, ils détruisaient des non-êtres. Le fait même, comme vous avez pu l’apprendre tout à l’heure, de les déshumaniser en leur supprimant leur identité d’homme pour leur donner un numéro d’immatriculation, était significatif et symbolique. Peu importe les souffrances infligées, les victimes ne sont que des nuisibles. Ce crime, le plus effroyable de l’Humanité, la Shoah (terme qui signifie catastrophe en hébreu), s’est déroulée ici, dans ce lieu même où nous sommes rassemblés ce soir en cette froide fin d’après midi polonaise. La Shoah, que beaucoup dans notre pays, ne voudraient plus voir qualifier par ce terme, le considérant, à tort, comme un terme religieux alors qu’il n’est que la traduction de la réalité des faits.

Soyons vigilants face aux attaques d’où qu’elles viennent, ne nous laissons pas berner, voire instrumentaliser, par une nouvelle écriture de l’Histoire qui tend à rendre compte de l’extermination des Juifs en quelques mots, au détour d’un chapitre. Les nouveaux rédacteurs des livres d’Histoire, qui demain vont permettre à nos enfants de connaitre notre passé, ont peur de nommer les faits par leur nom, pour ne pas heurter, pensent-ils, des sensibilités peu enclines à avoir quelque compassion pour les Juifs.
Que ces rédacteurs viennent ici, comme vous l’avez fait et ils se rendront compte de la réalité historique, ici l’horreur ne se cache pas derrière un paravent idéologique, elle est palpable malgré les 70 ans qui se sont écoulés. Si nous baissons la garde ne nous y trompons pas, les falsificateurs de l’Histoire sauront se précipiter dans la brèche ainsi laissée sans surveillance.

Ils seront précédés par des nostalgiques du nazisme comme cela s’est passé , ici même, le 16 octobre dernier
où des membres du parti néonazi hongrois sont venus parader en uniformes nazis. Ils se sont complaisamment photographiés devant les vestiges de la barbarie, en arborant des écharpes à croix gammées et des bannières de la Hongrie fasciste. La semaine dernière encore, à la télévision vénézuélienne, un professeur argentin, Saad Chedid,
spécialiste auto proclamé du Proche orient, déclarait que les Juifs et les Nazis avaient été complices, niant par là-même, l’existence de la Shoah. La philosophe Hannah Arendt disait « Le mensonge est plus fort que la vérité, car il comble une attente » Ni nos grands organes de presse, ni nos journaux télévisés n’en ont parlé, nul ne s’est indigné et pourtant, n’avions- nous pas entendu, il y a longtemps… Plus jamais ça. Lorsque nous venons ici, nous prenons l’engagement tacite mais solennel de ne pas laisser de telles nouvelles sans écho. Au soir de cette dure journée, dans le froid de cette nuit de novembre, je citerai à nouveau Lamartine : « Quittons ces lieux Jusqu’à ce que la Mort ouvrant son aile immense Engloutisse à jamais, dans l’éternel silence Notre éternelle douleur. » Et n’oublions pas la parole de Jean Cocteau « Le vrai tombeau des morts, c’est le coeur des vivants ». Ne les oubliez pas………