En partant à Auschwitz je ne savais pas trop à quoi m’attendre. La Shoah est un épisode de l’histoire tellement médiatisé et connu de tous, notamment grâce à nos programmes scolaires, que cela n’a fait que décupler ma curiosité. J’avais une envie profonde de me confronter à la réalité pour pouvoir en apprendre encore plus et surtout comprendre comment de tels événements ont pu avoir lieu. Alors que je croyais que je pleurerais toute la journée, j’avais même apporté plusieurs paquets de mouchoirs en guise de précaution, je n’ai pas versé une larme. En effet, j’ai ressenti des émotions tellement poignantes que cela dépassait les simples larmes.

Durant toute la matinée, je n’ai pas vraiment réalisé que j’étais à Auschwitz, que c’est sur ces lieux qu’il y 60 ans les pires atrocités étaient commises. Nous avons eu la chance d’avoir un guide polonais et une guide française qui avaient donc des informations différentes à nous apporter. Nous avons été submergés d’informations et tous ces chiffres paraissaient trop gros pour être vrais. Je n’étais pas vraiment atteinte par ce que l’on nous expliquait car ce sont des choses que nous savions déjà tous.

C’est lorsque nous avons vu les clichés des cadavres que j’ai eu un réel déclic, je me suis souvenue de pleins de passages du reportage « Apocalypse » et j’ai vraiment fait le lien. Ce moment a été suivi d’un rassemblement des différents groupes et nous avons assisté à plusieurs discours. Celui des deux survivants m’a particulièrement touchée, car notre groupe n’avait pas encore eu l’occasion d’échanger avec eux. Nous avons procédé à une minute de silence et nous avons tous ressenti une émotion très forte dans ces lieux chargés d’histoire.

Je n’ai pas osé prendre de photo dans les crématoires ou les douches. Ce n’était pas interdit mais je trouvais que ce n’était pas très respectueux.

L’après-midi m’a beaucoup apporté. Nous avons eu la chance d’être accompagnés par un des survivants (Benjamin) qui a pu apporter des commentaires plus personnels. Je me rends compte de la chance que nous avons eu d’être accompagnés par ces deux personnes. Il ne reste plus beaucoup de survivants et beaucoup ne sont pas en bonne santé. De plus, je trouve qu’ils font preuve d’un courage inouï en retournant sur les lieux.

Benjamin était très énervé contre tous les films trop « utopiques » comme “La vie est belle” qui ne rapportent pas la vérité. Je trouve cela très intéressant de voir comment la société s’approprie l’histoire. Bien sûr il est de notre rôle d’étudier la Seconde Guerre mondiale afin que cela ne se reproduise pas, mais pour une fois nous avons été confrontés à la réalité et non à des histoires romancées.

Mais chaque survivant a une histoire incroyable à raconter car ils ont du lutter pour survivre. La survivante nous a raconté qu’avant que des rails ne soient construits à l’intérieur du camp, les déportés arrivaient à l’extérieur du camp et devaient donc entreprendre une longue marche pour s’y rendre. Les nazis proposaient donc aux personnes âgées et aux enfants de prendre un camion. La survivante a poussé son grand- père et ses frères et soeurs à prendre ce camion alors qu’ils étaient réticents. Evidemment elle ne les a jamais revus car ils ont été exterminés le jour même. Elle nous a raconté à quel point elle s’en voulait et culpabilisait.

Ce qui m’a frappée chez ces deux survivants c’est leur force d’esprit. Surtout chez la femme qui avait toujours le sourire et un sens de l’humour très développé. Un jeune du CRJ a demandé à Benjamin comment il faisait pour vivre avec ce poids et ces souvenirs tous les jours. Il nous a répondu que son existence a été radicalement transformée. Il nous a avoué ne plus se souvenir d’avoir eu une famille car il est entré en camp à 15 ans et demi et en est sorti à 18 ans et demi. Ce qu’il a vécu pendant qu’il était en camp a effacé tous ses souvenirs. Son témoignage m’a bouleversée car Benjamin avait le même âge que nous à cette époque.

Je me suis rendue compte des conditions de vie en camp. Je savais à quel point elles étaient dures mais il y a une différence entre savoir et réaliser. Benjamin nous a raconté qu’en sortant du camp il ne pesait que 34kg à 18 ans et demi alors qu’il mesure 1m80.

Tout était fait pour que les Juifs se sentent inférieurs, presque des animaux. Nous avons visité un bloc de « punition » où les nazis enfermaient les Juifs qui avaient fauté. Il y avait même une salle où on mettait les personnes condamnées à mourir de faim. Je n’arrive pas à comprendre que de telles choses soient réelles, soient créées par l’être humain. Il y avait une salle d’un mètre carré où 4 personnes étaient enfermées chaque nuit pendant 5 jours ; elles devaient dormir debout et repartir travailler le lendemain matin. L’accès à cette salle se faisait par une toute petite ouverture à ras du sol, il fallait donc s’agenouiller pour y rentrer.

Il n’y avait aucune intimité possible à Auschwitz, tout le monde va aux toilettes à une heure précise, assis les uns à côté des autres. Ce qui m’a révoltée, c’est la volonté des nazis de monter les Juifs les uns contre les autres. Il n’y avait presque aucune solidarité. Mais Benjamin nous a expliqué que ce n’était pas plus mal car de toutes façons les amitiés ne pouvaient pas durer, il avait peur de se faire des amis car chaque fois qu’il s’en faisait un, il mourait peu de temps après. Ainsi, alors que les films transmettent une certaine solidarité, tout individu était vraiment seul et solitaire. Benjamin nous a dit que le seul acte de solidarité dont il a été témoin était celui d’un père envers son fils : chaque soir il lui donnait son bout de pain. Ceci a mené à la mort du père qui ne mangeait pas assez et plus tard à celle du fils par chagrin et parce qu’il était trop petit pour prendre soin de lui-même.

J’étais extrêmement curieuse de savoir comment il se faisait que les Juifs du camp ne sachent pas jusqu’à la dernière seconde qu’ils allaient mourir. C’est en voyant l’ampleur des lieux que j’ai compris. Le camp est très « bien » organisé, de façon à ce que personne ne puisse rentrer dans la partie extermination. En revanche les survivants nous ont expliqué qu’il y avait beaucoup de rumeurs et que tout le monde se doutait de ce qui se passait en sentant l’odeur de chair humaine calcinée qui sortait des crématoires.

Avant de partir j’étais très curieuse de savoir comment les guides s’y prenaient pour pouvoir faire visiter Auschwitz sans le faire ressembler à un musée quelconque car il y a un certain respect à avoir. Des amis m’ont même demandé s’il y avait une boutique de souvenirs… Je trouve qu’ils ont adopté la meilleure attitude possible, il n’y a pas du tout ce côté touristique que je craignais d’y trouver. Le fait que le Mémorial de la Shoah de Paris ne fasse visiter le camp uniquement en hiver en est un bon exemple. Ils ont réussi à y apporter une dimension très personnelle avec un mur de photos des personnes qui sont passées par le camp et surtout les objets qui leur avaient été confisqués. C’était assez dur de voir toutes ces valises avec le nom des personnes dessus qui espéraient et croyaient pouvoir les retrouver plus tard. De la même manière, nous avons vu une montagne d’ustensiles de cuisine et de bibelots, de décorations ce qui signifie que les personnes déportées s’attendaient à recréer une sorte de chez-soi. Je tenais vraiment à remercier toute l’équipe du CRJ et celle de Paris pour nous avoir permis de participer à ce voyage. C’est vraiment une journée dont je me souviendrai toute ma vie et de laquelle je pourrai parler à mes enfants plus tard. J’en ai énormément discuté avec mes amis et ma famille qui étaient tous très curieux.

Benjamin n’a cessé de nous rappeler que nous sommes devenus nous aussi des témoins de l’histoire et que nous devons en parler autour de nous afin que cette période de l’histoire ne s’oublie pas et surtout qu’elle ne se répète pas. Il a fait le rapprochement avec des événements de l’actualité comme les massacres en Syrie en nous disant que tout est encore possible.

Margritt Clouzeau

Lycée Georges Duby Luynes – Bouches-du-Rhône