Tristan Bernard que la Gestapo vient arrêter s’adresse à sa femme en pleurs :

« Pourquoi pleures-tu ? Jusqu’à présent nous avons vécu dans la peur, à partir de maintenant nous allons vivre dans l’espoir ! »

Quoi d’étonnant que chez les juifs, qui avaient si souvent besoin de se consoler au moyen de manipulation de mots, ce procédé soit devenu une habitude mentale profondément enracinée.

Marc-Alain Ouaknin nous dit : « On ne peut entrer dans le Talmud, ni dans la pensée juive en général, sans humour. Par opposition au sérieux de la logique philosophique, ce qu’on appelle l’humour talmudique, ou encore l’humour juif, c’est la mise en doute des vérités toutes faites, et d’abord la mise en doute de soimême. Mais le rire, cette « lecture aux éclats », du Midrach et du Talmud, ne prétend pas opposer une vérité à l’autre. »

« L’humour juif exige de l’homme autre chose encore : qu’il se moque de luimême, pour qu’à l’idole renversée, démasquée, exorcisée, ne fût pas immédiatement substituée une autre idole. » Vladimir Jankélévitch. L’histoire joue un grand rôle dans l’humour juif puisqu’ elle a fondé l’esprit et la conscience d’un peuple.

Comprendre l’humour juif, c’est aussi connaître l’histoire de ce peuple et la réaction de celui-ci face à ce qui lui arrive.
Le peuple juif a vécu une histoire qu’aucun autre peuple n’a vécue et l’humour est né de la somme de ces vécus. L’histoire du peuple juif est marquée par de formidables moments de bonheur mais aussi par d’immenses douleurs.

L’humour permet alors de transcender ces derniers et de montrer que même dans ce qui apparaît comme fondamentalement mauvais, il y a une parcelle de bien, si infime soit-elle, capable pour le moins d’être une source d’inspiration pour, une fraction de seconde, faire sourire.

C’est « l’humour » pour ne pas pleurer, l’humour qui libère. Le véritable humour juif plonge ses racines dans la Bible, le Talmud. Ces deux grandes oeuvres sont le fondement de la pensée juive, les piliers de la littérature et de l’être juif. De nombreuses générations de juifs, introduits à un âge très jeune dans les méandres des discussions talmudiques, ont fini par acquérir une
habitude mentale qui consiste à examiner les choses sous tous les angles, à tirer des conclusions abstraites à partir des faits concrets, à raisonner a fortiori, à interpréter, à spéculer et à trouver la réponse la plus subtile aux questions les plus complexes.


On retrouve chez les auteurs qui écrivent en yiddish, ces traits de discours, détournés de leur fonction première, l’enseignement oral et religieux, pour produire des effets comiques.


Ce penchant à la spéculation qui finit par devenir une véritable obsession fait des personnages juifs les champions de l’incertitude. Que ce soit le destin du monde, leur propre existence, la longue errance parmi des peuples hostiles où il fallait lutter chaque jour pour sa survie ou, le plus souvent, un sujet anodin, tout est soumis à un raisonnement tortueux.


Aucun autre peuple ne montre autant de complaisance à se prendre soi-même pour cible que le peuple juif, l’humour est plus une ironie dirigée contre soi-même. A travers la culture yiddish apparaît une auto ironie teintée d’indulgence et de bienveillance, c’est un humour plus douloureux, d’incertitude existentielle.

L’humour juif est un phénomène insaisissable.
David BARRE 14/12/2011