DISCOURS DE MONSIEUR BENJAMIN ORENSTEIN PRESIDENT DE L’AMICALE D’AUSCHWITZ-BIRKENAU DU DEPARTEMENT DU RHONE

Aujourd’hui encore, à l’occasion du 69e anniversaire de la libération des camps d’Auschwitz et de Haute Silésie, je reviens inlassablement devant vous.b orenstein

Je suis un rescapé du plus grand massacre de l’Histoire de l’Humanité, mais je ne veux pas être un rescapé muet, heureux d’avoir survécu, je veux être le témoin gênant, celui que l’on cherche à éviter, car il vient asséner des vérités qui ne sont pas toujours « politiquement correctes ».

L’Historienne Annette Wievorka écrivait « il faut encore et encore faire retour à Auschwitz, en parler inlassablement, le rendre en quelque sorte à l’Histoire ». Si nous n’y prenons pas garde, si nous n’y revenons pas à chaque commémoration, les morts s’effaceront de nos mémoires et ils seront à jamais morts pour rien.

Staline, cet autre Hitler disait « la mort d’un homme est une tragédie, la mort de 6 millions n’est qu’une statistique ». La mort de chaque camarade, de chaque individu dans les conditions effroyables que vous connaissez, reste pour moi une tragédie que je ne peux pas, que je ne veux pas oublier.

En janvier 1945, à l’approche de l’Armée Rouge, on commence à entendre le canon. Les Allemands paniquent, il faut absolument effacer les traces de leurs exactions, les chambres à gaz, les crématoires sont dynamités, mais que faire de nous ? Nous, qui malgré les sévices, sommes encore vivants. C’est alors que commencent les « Marches de la Mort », d’abord à pied, puis dans des trains, sur des wagons plateformes, par une température de -25°, plus de 100.000 Déportés quittent les camps. Quelques milliers seulement survécurent au froid, à la fatigue extrême,aux balles des S.S qui achevaient tous ceux qui n’arrivaient pas à suivre et aux bombardements des Alliés. 7000 malades, trop faibles pour entreprendre de telles marches, furent laissés errant dans les allées recouvertes de glace. C’étaient des morts-vivants que la hâte du départ des nazis avait sauvés d’une mort immédiate et qui se traînaient à la recherche d’une hypothétique nourriture. Il n’y avait plus de gardiens, mais la mort était encore présente, le froid, la faim et surtout la soif les tenaillaient. Et lorsque le 27 janvier 1945, les soldats de la 60e Armée soviétique, libèrent le camp de Birkenau, il n’y a plus un seul SS, mais il reste ces fantômes, inoubliables témoins de la barbarie portée à son apogée. Le Général PETRENKO, libérateur du camp, écrivit ces mots terribles « Même si j’avais vu bien des fois des hommes mourir au front, j’ai été frappé d’interdit devant ces prisonniers, transformés par la cruauté des nazis en véritables squelettes vivants. Ils ne pouvaient pas bouger, que se tenir debout, en silence, des squelettes vivants, pas des Hommes. Ce qui m’a le plus frappé ? Ces gens n’avaient pas de larmes, leurs yeux étaient secs ».

Mesdames, Messieurs, Chers Amis, si, bravant les années je suis encore là aujourd’hui, placve bellecourtc’est pour les faire revivre dans vos mémoires, ces squelettes oubliés, ceux qui hantent toutes mes nuits depuis que j’ai quitté cet enfer, c’est leur souvenir qui me fait survivre afin de tenir la promesse muette que je me suis faite, au lendemain de ma libération : Crier les crimes des nazis à la face du Monde afin que les suppliciés ne restent pas cachés dans les recoins des mauvaises consciences. Mais ce cri que je pousse à chaque occasion est aussi un cri de mise en garde, sans vouloir jouer les prophètes de mauvais augures, je me dois de vous faire entendre mes craintes. L’antisémitisme exacerbé d’Hitler a plongé le 20e siècle dans le chaos que vous connaissez. Les Juifs, millénaires boucs émissaires, ont payé le prix fort aux divagations de ce fou sanguinaire. Un nouveau mal gangrène notre époque, ce mal que l’on pourrait qualifier de nouvel antisémitisme est véhiculé par des médias complices, par les réseaux sociaux et par ces partis populistes qui profitent de la crise mondiale pour ressurgir un peu partout en Europe. Ce nouvel antisémitisme qui se cache derrière un antisionisme accepté par beaucoup émane simultanément de l’ultra gauche, de la droite extrême et de l’islam fondamentaliste. Le ministre de l’intérieur lui-même disait « un nouvel antisémitisme se cache derrière un antisionisme de façade ».

La crise économique que nous traversons, les paroles librement libérées, me rappelle les heures sombres de mon enfance et je suis effaré de voir l’Histoire se répéter. Je suis effrayé à l’idée que les mêmes causes puissent avoir les mêmes effets. Je vous demande solennellement, devant ce monument qui symbolise la Résistance du peuple français face à l’envahisseur, je vous demande, non seulement de veiller aux faits les plus anodins de l’antisémitisme ordinaire, comme ce geste obscène revendiqué comme symbole par des admirateurs d’un ex humoriste, mais encore d’agir dans les sphères d’influence auxquelles vous participez pour que de tels faits soient sanctionnés.

Il y a tout juste deux mois, avec l’Amicale d’Auschwitz du Rhône que j’ai l’honneur de présider, au cours du voyage de la mémoire que nous organisons chaque année, j’ai pu voir combien nos compatriotes et singulièrement les plus jeunes d’entre eux, se sentent concernés par cette période terrible de l’Histoire de l’Humanité. Ne laissons pas cet intérêt décliner car ce serait la porte ouverte à toutes les dérives amplifiées par le haut niveau technologique de notre époque. N’oublions jamais, comme le dit le Professeur Ameisen, Président du Comité national d’éthique, que « nous sommes tous les gardiens de l’Humanité ».