Extrait du discours du 10/02/2013 de Nicole BORNSTEIN présidente du CRIF R-A             

de la commémoration de la rafle du 09/02/1943   du 12 rue Ste Catherine 

Jour après jour, l’horloge tourne….mais on ne tourne pas la page !

Nous voilà aujourd’hui à nouveau réunis, jeunes et moins jeunes, proches et moins proches de cette déchirure de notre histoire, personnalités ou simples citoyens pour nous souvenir, ensemble, 70 ans après, de cette terrible journée du 9 février 1943 qui a vu 86 personnes arrêtées pour être conduites « d’où on ne revient pas », simplement parce que nées juives.

Depuis de nombreuses années, sous l’impulsion de Jules Zederman ancien résistant, infatigable militant, la tradition était de se réunir, chaque début février devant le n°12 de la rue Ste Catherine pour  qu’ils ne soient pas oubliés. En 1995 Gilles Buna, alors maire du 1ier arrondissement a transformé ce rassemblement en une vraie cérémonie républicaine en présence de personnalités et citoyens lyonnais soucieux de voir perdurer dans la mémoire de leur ville et de leurs enfants le souvenir de ce moment tragique de leur histoire.

A l’heure où peu à peu s’éteignent les témoins de cette sinistre époque, à l’heure où l’on ressent l’urgence de la transmission, ces initiatives sont sans conteste le plus sûr garant du passage de témoin.

Car c’est maintenant, 70 ans après que se pose de façon aigue le problème du passage de la mémoire et de sa transcription dans l’histoire.

Il y a d’abord eu après guerre, cette longue période de silence, trop souvent attribuée aux bouches closes des rescapés plutôt qu’à la surdité de la société environnante. Puis  ces bouches se sont peu à peu entrouvertes et les mots se sont libérés dans les livres, les films, les familles, les procès, la société en général.

Nuits et brouillard, le livre d’Anne Frank,  le retentissant procès Eichman, les recherches et la détermination de Serge et Beate Klarsfeld, le film Shoah de Claude Lanzmann, le livre de Paxton sur la France de Vichy ont progressivement ouvert les yeux de tous jusqu’à  trouver un aboutissement dans les déclarations de J Chirac et tout récemment F.Hollande.

Plus nombreux sont aujourd’hui les lieux de mémoire, les musées et monuments qui  témoignent, rendent incontestables les faits, permettent de se recueillir, d’apprendre, de transmettre, de réfléchir et faire réfléchir pour que plus jamais ça !…Ainsi tout récemment inauguré le camp des Milles, et le Mémorial de Drancy visité dernièrement par plus de 30 Imams de France.

La ville de Lyon en est aussi la parfaite illustration.

Il y a urgence, urgence à dire haut et fort que le devoir de mémoire tel que nous l’entendons  n’est pas de la victimologie.

Bien sûr, nous ne voulons pas que les victimes tombent dans l’oubli, mais pour nous, le devoir de mémoire, c’est aussi rappeler qu’en face des bourreaux de la gestapo et des complices de Vichy, dans cette époque sombre, il y avait des lumières.

Citons par exemple ici à Lyon le groupe de l’Amitié Chrétienne soutenu par le Cardinal Gerlier.

N’oublions jamais le sauvetage des enfants juifs du camp de Vénissieux si bien rapporté par Valérie Perthuis Portheret.

N’oublions jamais l’Abbé Glasberg, le Révérent Père Chaillet, Jean Marie Sautou le pasteur Boegner , la CIMADE et bien d’autres….

N’oublions jamais le Général Robert de Saint Vincent, qui au sommet de la hiérarchie militaire, gouverneur de Lyon, fut renvoyé de son poste pour avoir refusé très fermement à Laval la mise à disposition de ses troupes pour participer à la déportation des juifs lors des rafles d’août 42. C’est cela le devoir de mémoire. C’est sortir de l’oubli de l’histoire les victimes réduites en cendre à Auschwitz et les héros dont la vie est trop souvent résumée en quelques lignes dans des livres d’histoires à l’adresse de spécialistes.

Cette année, cela fera 70 ans en juillet, quelques mois seulement après qu’on ait tenté d’anéantir ici, rue Sainte Catherine, ce petit noyau de résistance qu’était l’UGIF, qu’est né à Villeurbanne, dans la clandestinité le « comité général de défense juive » devenu en1944 le « Conseil Représentatif des israélites de France », ancêtre du CRIF.

 A l’époque, son premier objectif était le sauvetage des juifs réfugiés en France. Aujourd’hui, dans les missions du CRIF, tant au plan national que régional restent majeures  celles de lutter contre le racisme et l’antisémitisme et d’assurer la permanence de la mémoire.

Discours de Nathalie Perrin-Gilbert – dimanche 10 février 2013
Commémoration de la rafle de la rue Sainte-Catherine – Lyon 1er
 

Mesdames, Messieurs, chers amis,

Je souhaite remercier chacun d’entre vous d’être là ce matin pour honorer, comme chaque année au mois de février, la mémoire de celles et ceux qui ont été piégés et raflés, ici, au numéro 12 de la rue Sainte-Catherine, le 9 février 1943.

9 février 1943 – 10 février 2013. Il y a soixante-dix ans, presque jour pour jour, cet immeuble devant lequel nous sommes réunis ce matin fut investi sur ordre de Klaus Barbie. Dès lors, chaque homme, chaque femme, qui montait les escaliers de cet immeuble s’est retrouvé face à face… avec la Gestapo.

Imaginons la surprise, mais bien plus l’épouvante, l’effroi, ressentis par ces hommes et ces femmes quand ils constataient, un par un, qu’ils étaient pris au piège ; et ce alors qu’ils venaient précisément rechercher dans les locaux du comité lyonnais de l’UGIF, l’Union Générale des Israélites de France, aide, réconfort et soutien. Laissons, à notre tour, notre sang se glacer à l’idée d’un tel piège organisé méthodiquement par les nazis de Klaus Barbie.

Oui, nous sommes là ce matin pour honorer la mémoire des quatre-vingt-six personnes prises dans cette souricière tendue, nous sommes là pour honorer la mémoire de ces hommes et de ces femmes qui furent ensuite déportés dans les camps de la mort où ils ont été niés et anéantis dans leur vie, leur existence, leur humanité. Oui nous sommes là, et même s’il ne nous est pas tout à fait possible de ressentir pleinement dans notre chair ce que ces hommes et ces femmes ont ressenti, vécu, enduré, au moins redonnons à ces hommes et ces femmes leur nom, leur identité, leur visage, leur passé, leur mémoire.

Je souhaite ainsi saluer tout particulièrement les enfants et petits-enfants, les frères et sœurs, les familles ici présentes de ces victimes. Chères familles, je souhaite vous dire que nous continuerons inlassablement d’égrener avec vous le nom de celles et ceux dont la vie s’est arrêtée là, frêles silhouettes et figures blêmes de notre mémoire collective : Isidore, Gisèle, Salomon, Ana, Joseph, Simon, Juliette, Alexandre,…Je veux aussi saluer le patient et minutieux travail d’historiens comme Serge et Beate Klarsfeld, dont les recherches acharnées ont permis de faire émerger la vérité crue et indiscutable des crimes commis et ont redonné une identité, une existence, aux hommes, aux femmes, aux vieillards, aux enfants, dont l’existence avait été méthodiquement niée.

Il est important de dire également que si l’horreur du régime nazi a été permise c’est aussi grâce à la multitude des petites lâchetés face aux actes de l’antisémitisme ordinaire; c’est pourquoi aujourd’hui nous nous devons de ne rien laisser passer qui relève de ces actes-là. Il est important de dire aussi que si l’horreur du régime nazi a été possible c’est avec l’aide de l’Etat français et de sa bureaucratie. La chaîne implacable de la bureaucratie… Là où il n’y a pas de responsable, là où chacun et chacune n’est qu’un rouage d’une machine infernale qui le dépasse, là où certains vont pouvoir déployer du zèle. Là, où ce qui était impensable hier peut devenir banal… et légal. Rien n’est plus simple que de garder la conscience tranquille en conférant à la pire des inhumanités les traits de la normalité, en se cachant derrière l’alibi de la légalité. La plus sournoise traduction de l’horreur nazie était peut-être bien cette légalité dans laquelle elle se drapait.

Pour conclure, je souhaite m’adresser aux élèves du lycée Ampère. Dans votre cursus, vous avez étudié l’histoire du génocide juif; dans notre ville vous avez visité cette semaine encore le CHRD, le centre d’Histoire de la Résistance et de la Déportation. Et vous savez bien désormais ce qui s’est passé dans cet immeuble il y a soixante-dix ans. Vous savez que des hommes, des femmes, des enfants, ont été assassinés par les nazis, simplement parce qu’ils étaient juifs. Alors ne l’oubliez pas.

Mais n’oubliez pas non plus qu’il y eut d’autres hommes et d’autres femmes qui refusèrent de collaborer: des hommes et des femmes, des résistants, qui choisirent la légitimité de leurs valeurs, de leur combat plutôt que la légalité vichyste. On a le choix de ne pas obéir en son âme et conscience, on a le choix de se redresser et de dire « non » alors que la folie semble tout emporter sur son passage. La folie, mais aussi la désolation.

Je ne sais qui mieux que Hannah Arrendt a écrit sur la  désolation, qui n’est pas la solitude. Je ne sais qui mieux qu’elle a tenté de penser l’impensable des camps de concentration. Alors je vais lire un extrait de son ouvrage : «Le Système Totalitaire »

« Cette ambiance de folie et d’irréalité, créée par une apparente absence de but, est le véritable rideau de fer qui dissimule aux yeux du monde toutes les formes de camps de concentration. Vus de l’extérieur, ceux-ci, et ce qui s’y passe, ne peuvent être décrits qu’à l’aide d’images tirées d’une vie après la mort, d’une vie affranchie des soucis terrestres. »

« Rien ne peut être comparé à la vie dans les camps de concentration. Son horreur, nous ne pouvons jamais pleinement la saisir par l’imagination, pour la raison même qu’elle se tient hors de la vie et de la mort. Aucun récit ne peut en rendre compte pleinement, pour la raison même que le survivant retourne au monde des vivants, ce qui l’empêche de croire pleinement à ses expériences passées. Cela lui est aussi difficile que de raconter une histoire d’une autre planète : car le statut des prisonniers dans le monde des vivants, où personne n’est censé savoir s’ils sont vivants ou  morts, est tel qu’il revient pour eux à n’être jamais nés. »

Dans la lignée du travail entrepris par l’association des Fils et Filles de Déportés Juifs de France, et pour ne pas ajouter l’          anonymat à la cruauté du piège de la rue Ste Catherine et à l’indicible de l’expérience des camps de concentration dont on ne revient jamais ou dont on ne revient pas tout à fait ; pour ne pas ajouter l’oubli à la douleur bien vivante des familles ; pour ne pas ajouter la désolation à la solitude de ces hommes et de  ces femmes face au système totalitaire nazi, votre mémoire et notre mémoire sont  essentielles. Elles sont aussi un rempart contre les pièges du fanatisme qui, malgré les leçons du passé, ne se désarment pas.