Je veux remercier tout d’abord chacun et chacune d’entre vous. Je vous remercie d’être là ce matin, dans le froid, dans le courant d’air de cette rue, pour commémorer un événement qui fait partie de l’histoire sombre de l’Europe, de notre pays, mais aussi de notre ville et de notre arrondissement. Je vous remercie d’être là, cette année encore, pour honorer la mémoire de celles et ceux qui ont été piégés et pris, au numéro 12 de la rue Sainte Catherine, le 9 février 1943.
Le siège lyonnais de l’Union Générale des Israélites de France où s’est déroulé cette rafle était un lieu de distribution de vivres, de soins et de soutien ; un lieu synonyme d’abri et de réconfort pour les personnes qui le fréquentaient, un lieu d’aide aux réfugiés déjà persécutés par les Nazis avec le consentement, l’aide et le zèle du régime de Vichy.
Alors quand ce 9 février 1943, ces locaux furent investis sur ordre de Klaus Barbie, les femmes, les enfants et les hommes qui étaient ici et qui furent pris ne se doutaient pas que le réconfort qu’ils étaient venus chercher se transformerait peu à peu en horreur. Quatre-vingt-six personnes furent victimes de la Gestapo ce jour là. Quatre-vingt furent déportées, trois seulement ont survécu.
Nous sommes réunis aujourd’hui encore 12 rue Sainte Catherine, devant cette plaque commémorative, non pas seulement pour nous rappeler le nombre des victimes mais pour nous souvenir du prénom et du nom de chacune d’entre elles. Car nous ne voulons pas oublier ces femmes et ces hommes qui ont succombé au régime nazi. Nous ne voulons pas brasser des chiffres : non, nous voulons que chaque personne raflée puis déportée, ici le 9 février 1943, ou ailleurs en France ou en Europe, ait le droit à ce qu’on se souvienne d’elle personnellement, intimement, nommément.
Le nazisme a construit les camps et fait du génocide un travail presque bureaucratique. Nous, aujourd’hui, avons le devoir de nous rappeler que la barbarie nazie a brisé la vie de femmes, d’enfants, d’hommes comme vous et moi. Ils avaient les mêmes rêves, le même sang, la même humanité. Et pourtant, du seul fait de leurs origines et de leur religion, ils ont été déportés.
Redonner une identité à ces personnes, écrire leur nom sur cette plaque, ce n’est donc pas qu’une action symbolique. C’est regarder cette rafle non plus en parlant des quatre-vingt six victimes, mais en parlant de Joseph, de Sarah, d’Anna, de Simon ou de Gisèle…
Car ne pas les nommer, oublier leurs prénoms et leurs noms serait les laisser tomber une seconde fois dans l’indifférence… les effacer à nouveau, nous rendant une seconde fois complice du projet nazi. Car n’oublions pas que c’est bien l’indifférence qui a permis à l’horreur de se dérouler, ici à Lyon et au coeur de nos villes européennes. Comme l’écrit l’historien Ian Kershaw, la « route d’Auschwitz avait été construite par la haine mais elle avait été pavée par l’indifférence ».
Ces commémorations sont l’occasion de se rappeler celles et ceux qui ont laissé leur vie, de saluer leur mémoire, mais c’est aussi, à mon avis, l’occasion de se questionner sur notre présent. Aujourd’hui lorsqu’une communauté ou un peuple, quel qu’il soit, est pointé du doigt, stigmatisé et accusé de tel ou tel maux de notre société, n’oublions pas que ces discours et ces pensées qui visent à diviser et à nous faire haïr ne font que nous affaiblir dans ce que nous sommes individuellement et collectivement, ne font que nous affaiblir dans notre humanité. Si nous cédons à la facilité du discours qui pointe du doigt, qui oppose, qui attise les peurs et les incompréhensions, si nous cédons à la logique du bouc émissaire, si nous oublions que nous sommes tous et toutes des hommes et des femmes, alors nous mettons en danger ce qui fait de nous des humains. Nous nous mettons en danger. Et bien sûr nous mettons également en danger notre république et notre démocratie. La république française, une et indivisible, se nourrit des différences et des multiples cultures. Nous devons en tirer une force et non en faire un instrument de haine et de rejet. Et il n’est que trop nécessaire de rappeler et de se rappeler que notre démocratie est toujours fragile, que rien n’est acquis, que nous devons être vigilants et garder notre capacité d’indignation contre celles et ceux qui tentent de la mettre à mal.
Au-delà des communautés, au-delà des différences et au-delà des incompréhensions, nous devons voir l’autre, comme il est réellement : un membre, comme nous, de notre humanité partagée. C’est pour cela que les hommes et les femmes qui ont été fauchés par la barbarie nazie ici même, ce 9 février 1943, ne doivent pas être oubliés. Ils sont notre mémoire collective ; ils sont notre humanité ; ils sont autant de vies qui nous rappellent à notre devoir d’exercer notre regard à toujours voir dans l’autre ce qui fait, entre nous, fraternité.