Extraits du discours de Benjamin Orenstein le 7 septembre 2012  lors de la remise de la médaille de l’ordre national du mérite.

Que de chemin parcouru depuis mon enfance, je suis né dans une famille juive, pratiquante, d’origine modeste. Nous possédions un petit commerce et malgré un environnement hostile, nous étions heureux de vivre en remerciant Dieu chaque jour de ce qu’il nous donnait.

J’ai eu la chance de travailler très tôt et mon existence paraissait toute tracée dans la tradition du petit peuple juif de la Pologne d’avant guerre.

La guerre, donc, chamboula cet ordre établi depuis des siècles, les Juifs, de tolérés devinrent indésirables, puis coupables de tous les maux.

L’occupation allemande permit aux Polonais de montrer leurs vrais visages. L’escalade verbale se transforma vite en brimades méprisantes puis en arrestations massives. Les déportations suivirent rapidement et enfin, l’acmé de cette folie meurtrière, l’extermination d’un peuple à Auschwitz.

Je survécus, seul de ma famille, ayant vu disparaître mes parents, ma sœur et mes frères et me retrouvant à 18 ans, seul dans l’existence, désemparé, désorienté, jeune adulte dans le corps d’un enfant.

Je parle souvent dans mon livre de la chance qui m’a souri tant dans ma vie concentrationnaire que dans celle qui suivit et qui me permet d’être devant vous aujourd’hui.

La prise en mains du garçon sans avenir que j’étais, par des mouvements sionistes, a permis de faire de moi un homme accompli, un mensch, comme aurait dit mon père, en yiddish.

Puis ce fut mon arrivée en France, dans ce pays d’accueil qui est devenu ma Patrie.

Heureux comme Dieu en France, disait un proverbe de mon enfance, j’ai pu en apprécier la réalité.

Les années passèrent, puis ce fut sans doute la plus grande chance de ma vie, la rencontre avec Mireille, elle aussi meurtrie par la Shoah, elle devint ma femme et me donna deux enfants.

Combien je regrette que Mireille ne soit plus à mes côtés, comme elle l’a été durant tant d’années, pour partager l’honneur qui m’est fait.

Elle était la cheville ouvrière de notre couple, la première pierre sur laquelle je construisis l’édifice de ma renaissance, de ma résilience, comme disait à Mireille son mentor, le Professeur Cirulnik. Sans elle, rien n’aurait pu être. La Chance, vous dis-je……Celle d’avoir rencontré tout au long de ma longue existence des Personnages de grande qualité. « Toute vie véritable est rencontre » a dit le philosophe israélien Martin Buber.

J’ai été un fétu de paille dans le tsunami de l’Histoire, mais ce fétu de paille a pu s’ancrer dans la vie grâce à toutes ces rencontres.

En 1987, sur les conseils de Mireille, après le procès Barbie et pour remplir la promesse que chaque déporté faisait aux suppliciés, j’ai décidé de témoigner inlassablement sur les crimes nazis.

De témoignages en témoignages, de nouvelles générations prennent conscience de la fragilité des Etats démocratiques dans lesquels ils ont la chance de vivre.

A tout moment notre civilisation, laïque et rationnelle peut être menacée par des idées intégristes et violentes qui refusent la liberté des autres. Cette civilisation a été menacée par les nazis et afin qu’une telle situation ne puisse se reproduire, j’ai décidé d’être un rouage de la défense de nos valeurs communes en parlant, témoignant ou combattant contre l’ignorance

Contrariant la volonté des nazis qui voulaient que disparaisse chaque juif de la surface de la Terre, ma descendance est assurée, ma fille Linda, mon fils Norbert, mes petits- fils Alexandre, Paul et Louis sont là pour en témoigner.

Quand on est soutenu par tant d’amis, par une famille, qu’est- ce que l’on fait ?

Qu’est -ce que j’ai fait ?

Je crois que je suis ce témoin infatigable qui transmet aux jeunes générations la terrible aventure des familles juives dans l’Europe du début du 20ème siècle, qui devaient expier le crime d’être nées juives.  Je crois que je suis le porte- parole post mortem de toutes ces familles disparues et de mes compagnons de captivité.

Je crois que je suis cet empêcheur de raconter n’importe quoi sur cette douloureuse époque, fustigeant tour à tour, les guides polonais d’Auschwitz, les Enseignants quelquefois prompts à faire des amalgames, les Politiques mélangeant volontairement les conflits.

J’ai toujours agi avec mon cœur et selon ma propre éthique.

Président de l’Amicale d’Auschwitz Birkenau du Rhône, entouré d’une formidable équipe, j’ai tenu depuis plus de 10 ans à accompagner quelques 1000 jeunes et autant d’adultes sur les lieux d’extermination des Juifs d’Europe.

J’en ai accompagné des milliers d’autres au cours de voyages organisés tant par le Département que par d’autres Régions françaises.    

Chaque fois, à mes côtés se trouvaient mes parents, ma sœur et mes frères pour me soutenir.

Je les sens encore ce soir près de moi, fiers de mon parcours, dont ils sont en grande partie responsables.

Madame la Sénatrice, chers amis, lorsque j’avais 18 ans, je ne savais plus ce que j’allais faire de ma vie, au soir de mon existence je pense avoir été l’homme que mes parents auraient voulu que je fusse.

« La vie des morts consiste à vivre dans l’esprit des vivants » disait Cicéron.

Avec nous ce soir, je sens la présence de tous mes disparus, cette présence m’aide à vivre.