Après des siècles de présence dans l’Empire ottoman, fidèles sujets de l’Empire, la situation des Juifs se dégrade après la défaite turque devant les Alliés. Occupée par les Vainqueurs et les Grecs, Istanbul devient une ville où l’hostilité envers les Juifs augmente de jour en jour. Jusqu’à la guerre, ils avaient de bonnes relations avec le Gouvernement « Union et Progrès » qui avait renversé le Sultan Abdülhamid en 1908.
La famille Romi, juifs sépharades arrivés à la fin du XVème siècle, expulsée de la région de Tolède( Espagne), par les Rois catholiques, vivait une existence difficile, mais sans trop de problèmes, dans le quartier de Kuzguncuk à Istanbul. Les Romi étaient artisans, certains tenaient une échoppe dans les souks de la ville.
A la maison on parlait l’espagnol, le ladino plus précisément (langue formée à partir de l’espagnol du 14ème siècle à laquelle fut ajoutée des mots hébreux et des mots provenant du turc). Depuis la création de l’Alliance Israélite Universelle, en 1860, des écoles installées par la France s’implantèrent dans différentes villes de Turquie, garçons et filles de la Communauté juive y apprenaient le Français.
La culture Française était très bien implantée dans la Société Turque et c’est grâce à cette Communauté qu’elle acquit une place importante. Les Romi, parlaient et pour les hommes, écrivaient le français.
Joseph Romi était brodeur, il travaillait pour les grandes maisons de couture et quelquefois même pour un couturier français, Jeanne Lanvin. Il rêvait de la France, de ce pays où les juifs pouvaient vivre comme ils l’entendaient.
En Turquie, les événements politiques devenaient préoccupants, en 1924, il décida d’émigrer avec sa petite famille, deux enfants de deux et quatre ans. Il avait une promesse d’embauche chez Lanvin, il intégra l’atelier dés son arrivée à Paris. Son salaire lui permettait d’entretenir sa famille et de vivre confortablement dans ce llème arrondissement de Paris où beaucoup de stambouliotes s’étaient installés.
1936,1es grèves, le chômage, le Front populaire, la Haute Couture est en grande difficulté, Joseph Romi est lui aussi obligé de changer de métier, recommandé par les dirigeants de Lanvin, parlant plusieurs langues, il devient Guide du « Paris by-night ».
Mais les touristes deviennent rares, Joseph décide de se lancer dans le commerce, il fait les marchés.
Entre temps les bruits de bottes se rapprochant, il cherche à s’engager dans l’armée française, désireux de servir ce pays qu’il aime tant et qui vient de lui accorder sa nationalité. L’armée refuse sa candidature du fait de ses charges familiales. L’Allemagne envahit la France, les lois raciales sont mises en place, la peur est chaque jour présente, l’épouse de Joseph décède en décembre 1940, sa fille Jenny, mariée depuis un an, a rejoint son mari militaire dans le sud ouest, lui reste à Paris confiant dans les propos de Pétain assurant que les Juifs français ne risquaient rien, d’autant plus que son fils aîné, engagé volontaire, était prisonnier en Allemagne.
Joseph Romi est seul à Paris, avec deux enfants à charge, la chasse aux juifs commence. En juillet 1941, la porte de l’appartement familial est enfoncée sans ménagement, deux policiers français en civil emmènent Joseph Romi laissant ses deux enfants désemparés (l’ordre d’arrêter les enfants n’était pas encore d’actualité).
Emmené à Drancy, il y reste interné 11 mois, affaibli et malade, jusqu’à ce que le Capitaine Denneker vienne le chercher avec 920 autres détenus pour faire partie du Convoi n°3 en partance pour Auschwitz.
Ce Convoi partit le 22 juin 1942, il comportait 934 hommes et 66 femmes.
Arrivé à Auschwitz le 24 Juin, la sélection fut impitoyable, malade, chancelant, Joseph Romi fut gazé dans les heures suivant son arrivée. Les crématoires n’étant pas encore installés, son corps fut jeté dans une fosse commune recouverte de chaux vive.
Sur ce Convoi de 1000 Personnes, 24 survécurent et revinrent en France.
Joseph Romi était mon Grand- Père.
Jean-Claude Nerson