Passant quelques jours à Praïa da Rocha, agréable plage de l’Algarve portugais, je découvris sur une étagère de l’hôtel où je séjournai une brochure éditée par les Archives Historiques du Cap-Vert relative à la présence juive sur cet Archipel de l’Océan Atlantique.

Comme dans toutes mes rubriques, le point de départ se fait fortuitement et le désir de rechercher les traces des différentes présences juives dans des endroits improbables, me lance dans des enquêtes aux multiples rebondissements.

La première implantation de Juifs dans les iles du Cap-Vert date du XVème siècle, cet archipel désertique ne figurant sur les cartes que depuis sa découverte par le navigateur Portugais Diégo Alfonso, en 1460. En 1492, les Juifs espagnols sont confrontés à un cruel dilemme, l’Inquisition leur offre le choix entre l’expulsion et la conversion. La plupart furent contraints à l’exil, mais des milliers se convertirent au christianisme tout en en suivant en secret les préceptes du judaïsme, ils furent dénommés « Nouveaux Chrétiens » ou marranes (d’un vieux terme espagnol signifiant cochon se référant à l’interdit religieux de manger du porc).l’antisémitisme ambiant ne faiblissant pas, ces Nouveaux Chrétiens espagnols s’enfuirent vers le Portugal rejoignant les juifs déjà présents dans ce pays. La population juive du Royaume devint très importante, plus de 100.000 pour un Etat qui ne comptait qu’un million d’habitants. La jalousie des autochtones envers ces nouveaux venus poussèrent les rois portugais, Jean II et surtout Manuel Ier à chasser les Juifs. Ceux-ci fuirent vers la France (Bordeaux, Bayonne), l’Empire Ottoman où les villes du nord ouest de l’Europe (Anvers, Amsterdam, Londres) Des milliers d’entre eux furent exilés vers les iles de Sao Tomé, Principe ou du Cap Vert, que les rois portugais voulaient peupler.

A ces familles vinrent s’ajouter des enfants de convertis, dont les parents convaincus de pratiquer le judaïsme en secret, avaient été exécutés par l’Inquisition. Ils étaient envoyés à fin d’adoption aux colons capverdiens. Ces enfants ne conservaient pas leur nom de famille, comme les esclaves, ils prenaient le nom de leurs maitres. Le Portugal ne se montrait pas très reconnaissant du rôle important joué par la Communauté juive et de son apport considérable aux intérêts du Royaume. Les Juifs cartographes, savants, médecins, dépositaires d’une culture ancestrale avaient permis au Portugal et notamment à son souverain , Henri le Navigateur, de lancer ses vaisseaux à la conquête des nouvelles terres. Malgré leur statut de parias, les juifs du Cap Vert se lancèrent dans des échanges lucratifs avec la côte africaine, tant que la Couronne portugaise ne se sentait pas lésée, ces marchands purent étendre leur zone d’action jusqu’au Sénégal et à la Gambie. En 1517, quelques marchands Juifs créèrent des comptoirs sur la petite côte du Sénégal (un Historien français, Jean Boulégue, note qu’au début du 17ème siècle quelques 100 Portugais Capverdiens vivaient à Joal (Sénégal) selon les lois de Moïse. En 1622, le Gouverneur du Cap Vert, Dom Francisco De Mourra, relate au Roi du Portugal que les juifs d’origine portugaise se comportent en maitre en Guinée et font comme si ils ne dépendaient plus de la Couronne portugaise. Ces accusations engendrèrent des exactions contre les juifs capverdiens, deux d’entre eux furent lapidés devant la synagogue qu’ils avaient construite à Rufisque( Sénégal) En 1672, l’Inquisition s’établit dans l’Archipel et il devint très difficile aux Nouveaux Chrétiens de rester des marchands indépendants, ils devinrent des intermédiaires entre les colons portugais et les potentats africains . Leur facilité à pratiquer les langues vernaculaires les rendaient presque essentiels aux tractations et leur renommée s’étendit loin à l’intérieur de l’Afrique. Ils s’intégrèrent rapidement aux populations locales, les mariages étaient nombreux et l’on peut dire qu’ils furent le noyau du peuple capverdien d’aujourd’hui. L’antisémitisme du Portugal, les antagonismes commerciaux des différents acteurs économiques mettaient toujours un frein à l’expansion de ces Communautés. Leur situation était totalement schizophrène, d’un côté ils étaient appréciés pour les services rendus à la Couronne, et de l’autre ils étaient en but à une série d’interdictions, de vexations, d’intimidations et même d’exactions contre leurs biens ou leur personne. Malgré ces écueils, on se doit de reconnaître que la connaissance de ces racines juives est essentielle à la compréhension de cette partie du Monde. En 1687, le Roi du Portugal promulgua un décret interdisant aux Juifs la vente des armes à feu et des instruments de navigation, ce décret restreignait également le commerce du cuir et de certains vêtements. On ne trouve plus beaucoup d’écho sur cette Communauté totalement intégrée dans la vie locale jusqu’au début du XVIIIème siècle où de nombreux Juifs quittèrent le Maroc pour s’installer dans l’Archipel. Ils voulaient avant tout échapper à leur état de dhimmi (citoyen de seconde catégorie) en terre d’Islam. Ils cherchèrent à relancer l’activité des mines de charbon abandonnées depuis plus d’un siècle. La légende dit qu’un bateau chargé d’émigrants juifs marocains fit naufrage et se brisa sur un récif de l’Archipel, les naufragés, miraculeusement saufs, s’installèrent sur la côte et fondèrent un village qui se nomme encore aujourd’hui Sinagoga dans l’ile de San Anton. Cette Communauté s’établit plus tard dans l’ile de Boa Vista, puis à Sao Vicente et probablement dans les autres iles. Les nouveaux venus n’étaient pas bien acceptés par la population locale et souvent confinés dans des ghettos, comme à Praïa, Capitale actuelle de la République du Cap-Vert. Il n’existe pratiquement plus de juifs capverdiens, plus de synagogues, seuls des vestiges de leur présence jalonnent encore de nombreuses iles de l’Archipel, à Santo Antao, deux cimetières juifs subsistent, l’un à Ponta Do Sol, l’autre à Ribeira Grande, on peut y trouver des tombes aux inscriptions en hébreu et portugais. On trouve aussi quelques tombes qui se visite aujourd’hui à Brava, dans la grande ile de Boa Vista. Mais ce qui reste le plus curieux, c’est de trouver tant de patronymes qui ne laissent aucun doute sur les origines de leurs ancêtres. Levy, Cohen, Mendés, Barros (forme portugaise de Ben Ros) sont des noms de Capverdiens chrétiens qui vivent qui vivent en parfaite harmonie, très fiers de leurs origines, dans cette petite République perdue dans l’Atlantique à 500 Kms des côtes africaines. En conclusion, s’il ne subsiste plus de vie juive au Cap Vert, l’empreinte de ces Communautés restera à jamais comme une composante essentielle de la vie de l’Archipel. En 2008, une O N G américaine signa un protocole avec la « Chambre municipale de Ribeira Grande » pour préserver l’héritage juif des iles du Cap Vert, son objectif principal est de restaurer les cimetières juifs de Santo Antao, Boa Vista et Santiago. Jean-Claude Nerson