De sang-froid de Truman Capote Ed.  Poche Folio, 506 p. 7,40 €. 

Fait divers dans le journal : massacre d’une famille de fermiers dans l’état du Kansas en 1959. Aucun mobile, aucun indice. Truman Capote part de cette mort tragique et décide de passer des mois entiers dans la bourgade du Midwest. Il interroge d’innombrables témoins, compulse des volumes de rapports de police et suit les deux coupables jusqu’à leur pendaison. Pourquoi ce crime ? Qu’est-ce qu’un criminel ? Telles sont les deux grandes questions que pose ce récit. Dans son rôle de témoin, l’auteur part à la recherche de l’expression la plus fidèle d’une certaine vérité. Il a été meurtri, il a été passionné, il a souffert et a vécu durant chaque minute l’histoire qu’il voulait écrire. C’est d’abord avec sa vie qu’il a écrit.

Plus qu’un roman policier, De sang-froid est le récit d’une analyse minutieuse qui ne porte aucun jugement mais permet de saisir l’esprit d’une époque. Celle d’une Amérique profonde et secrète, enracinée dans ses convictions et ses valeurs sociales. Une Amérique malade qui dégage une odeur de puritanisme exacerbé par ses propres peurs et emprisonnée dans des principes chrétiens de morale ordinaire. C’est aussi l’Amérique des grands espaces qui déroulent leurs grandes routes désertes. De sang froid est une étude comportementale traitée comme un roman noir qui tente de nous raconter l’inexplicable et l’inavouable.

« Et la marge entre le journalisme et le roman n’est pas si grande. Pourtant le livre de Capote n’est pas un reportage. Capote ne s’est pas contenté de suivre une affaire. On peut dire aussi qu’il l’a conçue, orchestrée. Il l’a restructurée. Il l’a démontée et remontée selon une technique tragique qui lui est propre.

À la fin de ce livre la question n’est pas résolue. Pour pouvoir répondre rapidement et sans hésitation, il aurait fallu faire ce que font la plupart des gens devant un forfait semblable : s’indigner un peu en lisant le journal, puis penser à autre chose jusqu’à ce qu’on lise un jour, dans le même journal, que les deux assassins ont été pendus. Mu par un désir irrésistible d’en savoir davantage, Capote a effectué ce long voyage dans l’abîme. Il a suivi la trace des assassins en même temps que la police. Il a enquêté lui-même sur le lieu du drame, il a interrogé des centaines de personnes, visité des centaines de lieux. Quand les assassins ont été pris, il les a rencontrés, les a aidés, leur a donné de l’argent, a gagné leur amitié. Il les a suivis jusqu’à leur mort, et s’est occupé lui-même de leurs funérailles. Il n’y a rien dans ces pages de malsain, ni de complaisant – comme il peut y en avoir dans certains reportages à sensation.

Capote parvient même à nous faire sentir la monstruosité de cet acte comme quelque chose d’infiniment pitoyable, et il se défend de juger.