Inauguration de la Place Marc Aron mercredi 9 février 2011
Discours de M. Gérard COLLOMB Sénateur-Maire de Lyon
Chère Edith Aron, Cher Roubik Danilovitch, Maire de Beer-Shev’a, Cher Thierry Philip,
Maire du 3e arrondissement, Messieurs les Représentants des cultes, Monsieur
le Représentant le Président du Conseil Général du Rhône, Mesdames et
Messieurs les Représentants des autorités judiciaires, Monsieur le Maire
de Brégnier-Cordon, Cher Théo Klein, Cher Alain Jakubowicz, Président de la
LICRA, Mesdames et Messieurs les Présidents et Présidentes des associations de défense des droits de l’Homme, Monsieur le Président du CRIF Rhône-Alpes, Mesdames et Messieurs les Elus, Mesdames et Messieurs, Quelle fierté, pour nous tous, de donner à cet espace public de notre
Cité le nom de Marc Aron.
Quel symbole, pour notre ville, de le faire, Monsieur le Maire, dans ce 3e arrondissement avec vous, un homme dont les valeurs, le destin familial, le nom, prennent ici tout leur sens.
Quelle émotion, Chère Edith, de vivre cet événement si important en votre présence, en présence de tous ces visages amis venus pour honorer votre époux et pour vous honorer vous même. Il est, dans nos vies personnelles, des souvenirs que rien, ni le temps, ni les événements, ne peuvent effacer. Je me souviens de cette douce et belle journée du 15 mai 2000 où, à Jérusalem, sur le Mont Sion, dominant le désert de Judée, nous inaugurions avec le Grand Rabbin Richard Wertenschlag et le Cardinal Jean-Marie Lustiger, ce très beau Mémorial du Cardinal Decourtray. Seul monument érigé en hommage à un évêque catholique dans la ville Sainte, il était né de la volonté de Marc Aron et de celle de ses amis les plus fidèles :
de vous Théo Klein, de toi Cher Alain Jakubowicz ; mais aussi du Dr Charles Favrequi aurait tant aimé être avec nous et qui a demandé au Cardinal Barbarin de nous lire l’hommage à celui dont il fut l’ami, le confident, le complice. Je me souviens, Chère Edith, de ce jour où le soleil était brillant sur la blancheur de Jérusalem. En cet instant, nous avions le sentiment si précieux, de vivre l’histoire au présent.
La force de votre époux était présente dans nos pensées. Son esprit lumineux continuait à éclairer notre avenir. Quel honneur pour moi aujourd’hui, devenu Maire – comme vous l’aviez pressenti alors ! –, de rendre hommage à cette grande figure : Marc Aron, « Cardiologue, Président du CRIF, Humaniste lyonnais », comme il est écrit sur cette plaque, bien trop petite, évidemment, pour traduire en quelques mots l’étendue de l’action. Marc Aron, arrivé au terme de sa vie trop tôt, trop jeune, en 1998. Car nous avions encore beaucoup à apprendre de son esprit et de son action. Les dernières images que nous avons de lui sont encore vivantes. Malgré la maladie, il s’était efforcé jusqu’à son dernier souffle de nous ouvrir la route vers un monde plus juste, plus fraternel, plus humain. C’est, par exemple à vous, Père Christian Delorme, vous le « Curé des Minguettes », qu’il avait tenu à remettre de ses mains la Médaille de l’Ordre du Mérite. Malgré le mal qui le rongeait, il l’avait voulu instamment. Parce que vous étiez son ami, bien sûr ! Mais
parce que pour lui, rien n’était plus important que le dialogue entre des femmes et des hommes de religions, de familles spirituelles, de
communautés humaines différentes.
Ce dialogue, il l’entendait comme l’antidote à toute forme d’intolérance, de rejet de l’autre, de haine raciste, antisémite ou xénophobe. De cette haine dont il avait été lui-même la victime. Car Marc Aron était né en 1930 à Berlin, en ce temps et destin de l’humanité. Son père fut déporté, sa famille pourchassée. C’était en 1939 et je crois que l’on ne comprend bien la vie et l’oeuvre de Marc Aron qu’en repensant au petit garçon qu’il était, jeté sur les chemins de l’exil alors qu’il n’avait pas dix ans ; et à ces années si importantes où de petit garçon on se forge une conscience d’homme. Pour lui, ce furent des années clandestines d’une lutte incessante pour sa survie et celle des siens. Cauchemar effroyable dont il ressortit avec un tempérament trempé, épris de liberté, résolu à rompre avec ce funeste destin qui venait d’engloutir plus de 6 millions de Juifs d’Europe. « Plus jamais ça » : trois mots traversant cet après-guerre où tout était à reconstruire, où des vies étaient à réinventer, une communauté à relever. Ce furent d’abord pour le jeune Marc Aron les Eclaireurs Israélites de France où se nouèrent quelques rencontres décisives : Théo Klein, Robert Badinter, bien d’autres encore… La plus importante, avec vous, Chère Edith. A 23 ans Marc devint le « Docteur Aron », jeune et brillant cardiologue. Puis ce fut le service militaire et le départ pour l’Algérie où il fut blessé, puis rapatrié après que son ambulance a sauté sur une mine, causant la mort de deux de ses camarades.
Oui, tout cela permet de mieux saisir cette forte personnalité, si simple, si marquante, si persuasive au travers de ses multiples engagements : à la tête des B’nai Brith de France, de l’Anti Diffamation League en Europe, puis dans notre Cité, à la Présidence de la Coordination des Organisations Juives de France, du Crif Rhône-Alpes, du Comité des OEuvres Religieuses, ou encore du Fonds Social Juif Unifié. C’est à lui que je pensais le 12 mars 2008, en inaugurant l’Espace Hillel en présence du Prix Nobel de la Paix, Shimon Peres et de tous ceux à l’origine de cette construction : Emmanuel Steiner, Charles Ohnona et bien sûr vous deux, Gérard et Janine Mayer.
Je me remémorais tous ses combats pour que jamais ne soient banalisés les crimes de la Shoah. Son action pour les parties civiles au cours des procès historiques de Klaus Barbie, de Maurice Papon, de Paul Touvier. Alain JAKUBOWICZ, alors jeune avocat, nous parlera de ces nuits passées à préparer ses plaidoiries avec celui qui a tant compté pour lui. Je pensais au rôle qui fut le sien dans l’ouverture, en 1994, du Musée Mémorial des enfants d’Izieu. Aux combats de haute lutte contre les falsificateurs de l’histoire agissant au sein de notre université. Et si, Monsieur le Président, l’Université de Lyon a pu se défaire de ce fléau du
négationnisme qui entachait l’image de Lyon, c’est aussi à Marc Aron que nous le devons. Je pensais, évidemment, au dialogue judéo-chrétien dont Marc Aron fut en première ligne avec le Dr Charles Favre et celui que dans la communauté juive on dénomme le
Cardinal du Respect : Albert Decourtray. Alliés indéfectibles dans le règlement de l’affaire du carmel d’Auschwitz, comme ils le furent dans ce qui allait devenir plus tard l’acte de repentance de l’Eglise à l’égard de ses frères juifs pour les crimes commis pendant la Deuxième Guerre. Amitié judéo-chrétienne qu’incarna Marc Aron à son plus haut degré lorsqu’au nom de la communauté juive il lui revint, avec l’aide du Grand Rabbin Kling, de remettre un Shofar à Jean-Paul II lors de son voyage apostolique à Lyon le 7 octobre 1986. Je pensais à l’ampleur de ses engagements en faveur des Droits de l’Homme et de la justice.
C’est dans cette ligne-là qu’il voulait vivre, qu’il voulait incarner son judaïsme : de manière rayonnante, mais aussi de manière si simple et si ouverte. Sa volonté étant de faire de la communauté juive non pas une communauté tournée sur elle-même, mais au contraire résolument à l’écoute des autres. Un judaïsme plongeant loin dans les racines de son passé, même le plus douloureux, mais aussi capable de construire un avenir fait d’échanges, d’ouverture, de dialogue : c’est cette vision-là que Marc Aron avait et qu’il nous a laissée en héritage. C’est ce legs humaniste que nous voulons transmettre et diffuser en attribuant son nom à cette place publique de notre Cité. C’est, comme l’a dit Thierry Philip, parce qu’il face à ces deux belles institutions républicaines que sont la mairie du 3e et le Palais de Justice que cet espace nous a semblé digne de porter le beau et grand nom de Marc Aron.