12-carte d'IslandeLorsqu’il y a quelques mois, ma fille, revenant d’un voyage professionnel enIslande, me raconta avoir rencontré de nombreuses personnalités pour écrire l’article demandé par son journal.

Elle avait notamment croisé Doorit Mossaief, la Première Dame d’Islande. Tu sais qu’elle est juive d’Israël ? Me demanda-t-elle, je ne le savais pas, ne m’étant jamais intéressé à ce pays ni à ses dirigeants.

Cette anecdote me revint en mémoire ces jours derniers lorsque la presse nous abreuva de moult informations sur les déboires de notre « first Lady ». C’est vrai, j’avais oublié l’Islande et surtout quid des Juifs dans ce pays des glaces ? 103.000 Km2, 320.000 habitants, température annuelle moyenne 5°. Les étés les plus chauds, le thermomètre peut monter jusqu’à 13°. Voici les renseignements trouvés dans les dictionnaires, mais rien sur les Juifs.

Approfondissant mon enquête, j’appris que depuis le 11e siècle des textes islandais évoquent l’existence des Juifs qu’ils nomment le peuple de Dieu, mais la présence physique avérée d’un individu juif peut se dater au 17e siècle, lorsqu’un certain Daniel Salomon, marchand polonais, récemment converti au christianisme, se hasarde sur cette île inhospitalière. Aucune trace d’installation pérenne n’est retrouvée.

En 1704, un Juif danois d’origine portugaise, Jacob Franco, obtint la charge de Fournisseur royal des tabacs, décernée par la Couronne danoise, sur les îles d’Islande et les îles Feroé. Jusqu’à la fin du 18e siècle, cette charge ne fut tenue que par des Juifs, mais aucun n’avait l’autorisation de s’installer en Islande. En 1815, Ruben Moses, riche armateur de Copenhague, tenta d’affréter un vaisseau, «l’Ulrika», pour favoriser l’installation de quelques familles juives danoises. Le Parlement islandais ne permit pas le débarquement, car aucun Juif n’était autorisé à s’installer dans le pays. Le Roi du Danemark, dont l’Islande dépendait, voulait favoriser la venue de marchands juifs pour le développement économique du Pays. Après deux ans d’âpres discussions, le Parlement islandais (l’Alpingi), accepta la proposition du Roi sous réserve qu’aucun marchand juif ne révèle son judaïsme aux insulaires. Aucun Juif n’accepta cette offre. Pendant tout le 19e siècle, on dénombre très peu de Juifs en Islande, malgré cela un antisémitisme sévit sous la houlette du Président de l’Université, le Professeur Bjorn Olsen, qui dans un article du premier journal islandais racontait l’histoire d’une confrérie secrète de marchands juifs qui affamait le pays. Cette fiction s’incrusta profondément dans lamémoire islandaise. Malgré cette hostilité, quelques commerçants juifs danois, comme la famille Arnhems, s’installèrent à Reykjavik. Le pays était particulièrement inhospitalier, tant par l’attitude des autochtones que par la nature elle-même. Le journaliste hongrois Max Nordau décrivait ce pays comme un désert glacé et il écrivait à sa famille que « mieux valait vivre comme un chien à Pest (qui forme avec Buda la capitale de la Hongrie), que comme en voyageur en Islande ».

A l’aube du 20e siècle si peu de Juifs s’étaient installés en Islande, qu’on ne trouve aucune trace de leur présence. Il ne faut pas oublier Fritz Nathan, Juif danois, qui laissa à la postérité le plus haut building d’Islande qu’il fit construire dans les années 1920. Les lois très restrictives sur l’implantation des étrangers et singulièrement des étrangers juifs confortèrent encore la xénophobie ambiante. Les lois danoises sur l’immigration étaient appliquées avec rigueur, lorsque, en mai 1938, les Danois refusèrent l’asile politique aux Juifs autrichiens, les Islandais prirent les mêmes dispositions. La population islandaise demandait avec insistance aux autorités que les emplois soient réservés aux seuls nationaux. De plus, elle se rapprochait des thèses nazies, Hitler ayant promis de la délivrer du joug danois. Des citoyens islandais avaient contacté un Prince allemand afin qu’il devienne Roi d’Islande. Ce Prince, membre du parti nazi, était un haut dignitaire du 3e Reich et ce projet était fermement soutenu par Goebbels. Un parti nazi fut formé en Islande dès 1933, rattaché au parti allemand, il ne parvint jamais à avoir des Députés au Parlement. Ce parti disparut faute d’ennemis à combattre, les Juifs étaient si peu nombreux qu’on ne pouvait en faire de crédibles boucs émissaires. Les quelques Juifs avaient peu à craindre des nazis islandais mais beaucoup plus des autorités totalement inféodées à l’idéologie nazie En 1939, le plus haut responsable nazi chargé de l’étude des émigrations juives enEurope, se félicitait de la position intransigeante du Parlement islandais. Le Premier Ministre Jonasson déclara dans un grand élan de lyrisme antisémite « l’Islande a toujours été un pays de pure race nordique, sans présence juive, et ceux qui s’y sont installés doivent partir ». Ce beau programme s’écroula lorsque advint la 2e guerre mondiale. Les troupes britanniques débarquèrent rapidement en Islande (considérée comme une position stratégique pour empêcher l’invasion allemande en Grande Bretagne), et s’installèrent durablement.

Beaucoup d’Islandais les considéraient comme des ennemis. Quelques centaines de combattants britanniques étaient juifs et ils décidèrent d’organiser un office religieux pour la fête de Kippour 1940. C’était la première fois dans l’histoire de l’Islande que l’on célébrait un office religieux autre que chrétien.

A l’arrivée des troupes américaines, la Communauté militaire de confession juive s’étoffa considérablement. En 1944, sur 70 000 soldats américains on pouvait dénombrer quelques 2 000 Juifs. Des réfugiés allemands purent enfin, en petit nombre, trouver asile en Islande, ils furent, dès leur arrivée, obligés de changer de nom afin d’islandiser leur patronyme pour ne pas heurter la population. Harry Rosenthal devint Haradu’r Magnusson, Karl Friedlander, Hjortur Haraldsson.

La république d’Islande fut proclamée en 1944 lorsque les Allemands envahirent le Danemark mais l’antisémitisme viscéral des Islandais n’avait pas disparu pour autant, l’un des ministres les plus influents du gouvernement fit publier les fameux « Protocoles des Sages de Sion » et dénonça un complot juif pour la gouvernance du Monde.

Devenir Islandais était très difficile dans ces conditions, pourtant un petit nombre de Juifs voulaient devenir de vrais citoyens, après avoir changé de nom, souvent de religion, malgré leurs efforts ils ne purent jamais jouer un rôle dans la vie de leur nouvelle Patrie.

Bien que l’Islande fût l’un des 37 pays qui votèrent la résolution de l’ONU le 29 novembre 1947 en faveur de la création de l’Etat d’Israël, elle ne fut jamais réellement « jew’s friendly ».

N’oublions pas que quelques membres du parti nazi islandais se firent les auxiliaires zélés des SS en devenant gardiens de nombreux camps de concentration en Allemagne notamment à Dora. Le propre fils du premier Président de la nouvelle République était membre de la SS. Poursuivi, il se réfugia en Argentine. Pour beaucoup de dignitaires, il fallait rapidement faire oublier ce lourd passé en accédant aux plus hauts postes de la société islandaise.

En 2000, l’Islande participa à la Conférence de Stockolm sur l’Holocauste et signa la charte obligeant les Etats membres à enseigner la Shoah dans les écoles. De nombreux lecteurs des journaux qui relataient ces faits écrivirent des lettres aux rédactions disant que cet enseignement mettait en danger la cohésion du Pays. Cela reflète une forme exacerbée d’ethnocentrisme. Le conflit israélo-palestinien permit de fortes poussées d’antisionisme, Les journaux et beaucoup d’hommes politiques se complaisaient à établir le parallèle entre les actions menées par l’armée israélienne à Gaza et les exactions des nazis pendant la guerre. Ils allèrent jusqu’à trouver une justification symbolique conquérante dans le drapeau israélien. Les 2 lignes horizontales bleues figurant le Nil et l’Euphrate et l’étoile de David figurant le peuple juif, seul légitime possesseur de la terre entre ces deux fleuves.

Aujourd’hui la Communauté juive d’Islande se compose de 50 à 100 personnes, aucun recensement officiel ne vient étayer ce nombre, c’est réellement une goutte d’eau dans cet océan de « luthériens au sourire de glace » comme aime à qualifier ses compatriotes, un grand auteur islandais. Pas de lieu de culte, pas de salle communautaire, un temple luthérien dont on couvre les symboles chrétiens sert à célébrer les grandes fêtes.

Le judaïsme n’est pas reconnu comme une religion officielle et ce n’est pas la « first lady », qui n’entretient d’ailleurs aucun lien particulier avec ses coreligionnaires, qui changera quoi que ce soit dans leur existence. J’ai découvert cette Communauté qui s’est maintenue contre vents et marées dans ce pays de glaces, de geysers et de fjords et je me pose la question sur la volonté d’une poignée de femmes et d’hommes de se maintenir malgré des difficultés journalières et de s’intégrer malgré l’environnement hostile.

Cela pour le moins mérite notre respect.

Jean-Claude Nerson