Dans chaque numéro de « Mémoire vive » j’essaye de vous faire découvrir des Communautés méconnues.
Souvent l’actualité dirige mon choix, les Juifs, après la Diaspora, ont quittés leur patrie ancestrale et ont créés des
points de peuplement dans de nombreuses parties du monde, au gré de l’acceptation de leur présence. Cet exode a
débuté au 8éme siècle avant notre ère et s’est poursuivi durant plus de 2000 ans selon les aléas politiques. Ceci explique
que la plupart des pays comporte des Communautés juives plus ou moins importantes.
La récente actualité a mis en première page des journaux télévisés la
dramatique attaque, qualifiée d’antisémite, perpétrée à Vienne, il y a
quelques semaines.
La présence des Juifs en Autriche est avérée depuis le 3ème siècle, en
2008 des archéologues découvrirent au cours de fouilles, une amulette
juive que l’on peut dater de cette époque, sur laquelle étaient inscrites
les premières lettres d’une prière juive. Les Historiens pensent que les
Juifs accompagnaient les légions romaines qui venaient de Palestine
ou, que ce pouvait être des prisonniers que l’on exilait loin d’Israël.
Un document du 10ème siècle indique clairement que des règles très
strictes étaient établies pour solutionner les différends entre les marchands
juifs et chrétiens de la vallée du Danube. Ce qui impliquerait une présence juive à Vienne suffisamment importante
pour que les Autorités de l’époque se sentent obligés d’établir un tel document. Ce texte est-il apocryphe ?
Les Historiens sont perplexes …
Les seules preuves concrètes sur lesquelles on peut baser avec certitude un début de présence juive en Autriche, ce
sont les ruines de 2 synagogues du 12ème siècle, construite à l’époque de l’arrivée de Juifs de Bavière et de Rhénanie.
Au début du 13ème siècle, l’avenir des Juifs paraissait radieux, le Duc Frédéric II, souverain régnant, déclara que cette
population ne serait pas soumise aux mêmes lois que les Chrétiens. Beaucoup de commerces leur étaient interdits, le
Duc préférant réserver à ses sujets juifs les commerces en rapport avec les échanges d’argent (prêteurs, percepteurs).
Il encouragea l’émigration massive de Juifs dans son duché d’Autriche en leur permettant même de juger leurs coreligionnaires
suivant leur propre loi.
Durant cette période les Juifs prirent des positions clés dans la vie autrichienne, il y avait un foisonnement de sociétés
étudiant la Bible et la Thora. Des rabbins érudits, financés par de riches familles, constituèrent un groupe
d’étude que l’on appelait « les sages de Vienne ». Ils établirent une école talmudique la plus importante en
Europe, des étudiants affluaient de Hongrie, de Pologne, de Lithuanie, etc….
Ces situations privilégiées attirèrent rapidement les foudres des Autorités catholiques et lorsque, en 1282, l’Autriche
passa sous la domination de la Maison des Habsbourg, leur sort changea très rapidement. Leur prospérité provenant,
principalement des charges de percepteurs des taxes et impôts que leur avait confiées les différents seigneurs locaux,
des tensions avec la population chrétienne était inévitables. Ces tensions
étaient exacerbées par la très grande pauvreté de beaucoup de Chrétiens et
un antisémitisme virulent commençait à poindre.
De nombreux Juifs décidèrent de quitter l’Autriche lorsque les Autorités
annulèrent les dettes des Chrétiens, ces annulations généralisées sous les
règnes de Albert III et Léopold III de Habsbourg, tout au long du 15ème
siècle, accentua cet exode. Ceux qui restaient furent accusés de sacrilège,
et plus de 200 (hommes, femmes et enfants) périrent brûlés vifs en place
publique.
A la fin du 15ème siècle les derniers Juifs furent expulsés d’Autriche, leurs lieux saints profanés et leurs livres sacrés
détruits par le feu, à la seule exception de la Bible. Ceux qui le purent, s’enfuirent vers l’Allemagne, d’autres s’installèrent
à Prague où existait déjà une communauté importante.
A partir de l’avènement au pouvoir de Charles Quint qui les avait pris sous sa protection, ils purent se réinstaller dans
tout l’Empire Austro-Hongrois. Le 18ème siècle fut une période faste pour les Juifs d’Autriche, pendant les règnes
de Marie Thérèse et de François Joseph. Marie Thérèse édicta de nouvelles lois pour leur donner plus de droits et
une certaine autonomie, plusieurs d’entre eux travaillaient à la Cour impériale et leurs enfants pouvaient s’inscrire à
l’Université. A la mort de l’Impératrice, son fils Joseph II rendit le service militaire obligatoire pour ses sujets juifs.
L’apogée de leurs droits fut « l’Edit de Tolérance » de 1782 qui annulait toutes les restrictions apportées aux installations
des Juifs, ils avaient la possibilité de faire des études supérieures et d’accéder aux grades supérieurs dans l’armée.
La seule obligation était de parler allemand. Les souverains autrichiens se succédaient et les résolutions d’intégration
et de tolérance ne furent pas remises en question.
Entre 1848 et 1938, les Juifs d’Autriche traversèrent un siècle de prospérité,
les Empereurs étaient vénérés et l’on chantait leurs louanges pendant tous
les offices de Shabbat. En 1869 François Joseph fit un voyage à Jérusalem,
il y fut accueilli en bienfaiteur par les Juifs y habitant ; à son retour il créa
un fond spécial pour aider les institutions juives et permit la création d’une
école rabbinique à Budapest.
Durant son règne les Juifs contribuèrent grandement à l’essor culturel et
économique du pays. Auteurs dramatiques, compositeurs, médecins, banquiers,
artistes, tous les domaines de l’art, des affaires ou de l’esprit étaient
représentés. Le Centre de culture juive de Vienne était le plus florissant
d’Europe, il fournit au monde Théodore Herzl, le fondateur du sionisme, mais aussi les compositeurs tels que Gustav
Malher ou Arnold Shoenberg,les écrivains Stefan Zweig, Arthur Schnitzler, Karl Kraus, Joseph Roth, le docteur Freud
et tant d’autres.
En 1897 est créé à Vienne, le premier musée juif au monde, fermé à la veille de la dernière guerre, il fut rouvert en
1990, il abrite aujourd’hui, en plus des documents et objets relatifs à la vie juive en Autriche depuis les premiers temps,
une très riche bibliothèque qui comporte plus de 25 000 ouvrages.
Il existait même au sein de la communauté un grand club de football, le « Hakoah Vienna » qui brilla dans de nombreuses
compétitions européennes.
Acceptés par la société viennoise, de nombreux juifs se convertirent au christianisme pour être totalement intégrés.
Ces réussites entraînèrent un renouveau de l’antisémitisme qui se traduit par l’élection à la mairie de Vienne du leader
du parti chrétien antisémite, Karl Lueger, malgré l’opposition de l’Empereur. En 1918, quelques 300 000 Juifs vivaient
en Autriche, dont 200 000 à Vienne.
La grande guerre mis fin à l’Empire des Habsbourg et permit la création d’une République à laquelle participèrent
de nombreux politiques juifs tels que Adler, Bauer ou Breitner (celui -ci reforma totalement le système scolaire autrichien.
En mai 1923 Vienne fut le siège du 1er Congrès mondial des femmes juives avec la participation du Président
de la nouvelle République autrichienne, Michael Hainish. Ce Congrès engageait fermement les Juifs à émigrer en Palestine.
L’influence culturelle des Juifs viennois sur la vie culturelle était très importante, on vit à cette époque émerger
les Fritz Lang, Fred Zinneman ou Otto Preminger. Malgré les départs vers la Palestine, il y avait encore 230 000 juifs
en 1933.
1938, L’Autriche est annexée par l’Allemagne et les lois raciales sont
appliquées immédiatement. En novembre, la Nuit de cristal qui ravagea
l’Allemagne fut largement suivie à Vienne où les Jeunesses hitlériennes
dévastèrent et brûlèrent magasins et synagogues.
En décembre 1938, la représentante du Comité hollandais d’aide aux
Juifs, Mme Wijsmuller, vint à Vienne pour négocier la libération de 10 000
enfants juifs condamnés à une mort certaine. Elle réussit, après avoir été
arrêtée, libérée et d’incessantes interventions auprès des plus hautes autorités
nazies, à sauver ces enfants. Le dernier transport eut lieu le 14 Mai
1940, 3 jours avant l’invasion de la Hollande.
Mme Wijsmuller fut honorée par le titre de Juste parmi les nations et sa ville natale Alkmaar vient de décider de lui
consacrer un monument dont l’inauguration a été reportée pour cause de pandémie.
La population juive d’Autriche fut déportée vers les camps de Dachau de Buchenwald ou Teresine. En 1942, les déportés
étaient directement envoyés vers le camp d’extermination de Sobibor, d’autres étaient rassemblés dans les ghettos
de la partie de l’Union soviétique occupée (Riga, Kaumas, Vilnius, Minsk), où ils étaient exécutés par les supplétifs
des nazis, lituaniens, lettons ou biélorusses.
Après la guerre, il ne restait plus que quelques 2 à 5000 Juifs en Autriche.
Simon Wiesenthal, le chasseur de nazis qui permit l’arrestation d’Eichmann était interné dans
le camp de Mathausen libéré par les Américains, grâce à leurs archives, il mit sur pieds une
gigantesque chasse aux criminels de guerre nazis.
Depuis l’Holocauste, la vie juive s’est reconstruite en Autriche, l’arrivée en 1956 de Juifs
hongrois, fuyant la révolution, puis des juifs russes après la chute du « rideau de fer » permit
une certaine renaissance.
En 1991, le gouvernement autrichien reconnut son rôle dans les crimes du 3ème Reich, il
reconstruisit la synagogue d’Innsbruck, détruite au cours de la nuit de cristal.
Des femmes et hommes politiques juifs arrivèrent au premier plan de la vie autrichienne,
Bruno Kreisky fut 13 ans chancelier et bien qu’il soit loin du judaïsme, un antisémitisme
nouveau renaissait. Un scandale éclata dans la station de ski Serfaus où la population locale interdisait les locations
de vacances aux Juifs, hôtels et pensions se basaient sur les noms de famille pour refuser des vacanciers. L’affaire fut
enterrée rapidement.
Un nouvel antisémitisme est aussi véhiculé par une importante immigration turque. Ces jours derniers, un émigrant
syrien déclencha un attentat devant une synagogue de Vienne, attentat qualifié d’islamiste par les Autorités.
Jean-Claude NERSON