Les Juifs de Birmanie

Les récentes nouvelles provenant de Birmanie, montrant que ce pays accède enfin à une certaine démocratie, que la courageuse Aung Sang Suu Kyi entrait au Parlement, me donnèrent l’idée saugrenue de rechercher si des Communautés juives avaient pu vivre où vivaient encore dans ce lointain pays d’Asie si peu connu.

La Birmanie est une République dont le nom exact est République de l’Union du Myanmar, elle est frontalière du Bangladesh, de l’Inde, de la Chine et de la Thaïlande. Influencés par leurs grands voisins Chinois et Indiens, les Birmans ont toujours été divisés entre ces deux pôles d’attraction.

Ce sont les Juifs venus des Indes qui formèrent le premier noyau de la Communauté juive birmane, ils arrivaient de Calcutta, pour la plupart, ou de Cochin, ce royaume rattaché à l’Inde du sud, beaucoup parlaient l’anglais mais surtout un dialecte, le judéo-malayalam.

Cochin était un haut lieu de la présence juive en Asie, certains auteurs disent que les Juifs y étaient installés depuis plus de deux mille ans.

Des vagues d’émigrants vinrent successivement étoffer cette Communauté, les premières provenaient de Palestine, d’autres d’Irak, les dernières d’Europe. Les Juifs de Bagdad, arabophones , étaient les plus nombreux, arrivés dés le 17ème siècle, ils avaient des Chefs dont les noms évoquent encore aujourd’hui l’influence de leurs actions sur les Communautés d’Asie.

La famille Sassoon, que l’on surnommait les « Rothchild d’Asie », joua un grand rôle dans l’industrialisation et l’expansion de la ville de Bombay à laquelle elle donna trois Maires.

Cochin, mais aussi Calcutta où existait une très ancienne Communauté, les Bene Israël, furent les deux villes qui furent à l’origine de la présence juive à Rangoon.

Ce sont principalement des marchands, bien que le premier Juif signalé soit un certain Salomon Gabirol qui, au 18ème siècle, servit comme Commandant de l’armée du Roi Alaungpaya, l’un des plus grands Roi birman.

Jusqu’au 19ème siècle on sait très peu de choses sur les Juifs de Birmanie. En 1854, ils sont suffisamment nombreux pour construire la première synagogue dans la capitale Rangoon, ils la nomment Mazmi’ah Yeshu’ah , elle devient la plus grande synagogue d’Asie.

C’est l’apogée de la Communauté, elle compte 2500 membres, beaucoup sont très prospères, détenant une grande part du commerce du riz, du coton et de l’opium.

La Birmanie faisant à présent partie de l’Empire britannique, de grands marchands juifs vinrent s’y installer ; il faut parler du Roumain Goldenberg qui tenait le marché du teck et surtout du Galicien Solomon Reineman qui possédait des comptoirs de fournitures à l’armée britannique dans la plupart des villes birmanes. Ces Juifs s’intègrent parfaitement à leur nouvelle patrie, à tel point qu’au début du 20éme siècle Rangoon avait un Maire juif dont le nom Juda Ezekiel a été donné à une rue du centre de la ville.

1942, les Japonais envahissent la Birmanie, de nombreux Juifs s’enfuient vers l’Inde voisine, malgré le manque de volonté évident des Autorités japonaises d’appliquer les lois raciales de leurs alliés nazis. L’attitude des Nippons est très paradoxale, ils se méfient des Juifs considérés comme des Anglais ou des Européens ennemis, mais ils en ont besoin pour maintenir l’économie du pays. Après la guerre mondiale, la Birmanie accède à l’indépendance et elle est le premier pays d’Asie à reconnaître le nouvel état d’Israël qui ouvre en 1953 une « Mission diplomatique » qui se transforme en Ambassade en 1957.

En 1962, une junte militaire prend le pouvoir et nationalise tous les commerces, les Juifs émigrent en grand nombre vers Israël, les Etats-Unis ou l’Australie. En 1969, il ne reste plus que 20 Juifs et le dernier rabbin émigre à son tour. En 1993, le cimetière juif qui compte plus de 700 tombes, se trouvant dans le périmètre de développement de Rangoon, devait être déplacé, sur l’intervention de l’Ambassadeur d’Israël et grâce, sans doute , à l’influence de David Abel, juif d’origine syrienne et Ministre du développement économique de la Junte, le déplacement a été interrompu et les tombes dont certaines ont plus de deux siècles , n’ont pas été touchées.

En 2011, nouveau bouleversement au Myanmar ou un gouvernement civil est élu et dans la foulée, la Secrétaire d’état américaine, Hillary Clinton, vient faire un voyage officiel, c’est la première visite d’un haut dirigeant occidental depuis 1955.

Elle demande à visiter la synagogue de Rangoon , les télévisions américaines en font le reportage et des millions de Juifs américains apprennent l’existence de cette petite Communauté qui ne comprend plus que 8 familles. Ils viennent nombreux en touristes et sont reçus par Than Lwin dont le nom hébreu est Moses Samuel, c’est lui qui porte sur ses épaules toute l’histoire des Juifs birmans.

A la fois rabbin et guide, il ouvre tous les jours les portes de la synagogue et durant la saison touristique, il réquisitionne les quelques coreligionnaires disponibles pour être les hôtes des visiteurs. La synagogue est répertoriée parmi les 188 sites

remarquables de Birmanie.

Pour que les touristes intéressés par ce passé puissent venir nombreux, le Rabbin Samuel et son fils, qui lui vit aux Etats-Unis , ont créé en 2005 une agence de voyage « Myanmar Shalom » qui s’est spécialisée dans ce qu’ils considèrent comme leur devoir de mémoire.

Si plus d’informations sur les Juifs de ce pays vous intéressent, vous pourrez lire le passionnant ouvrage du Dr Ruth Fredman Cernea « Almost englishmen : Baghdadi Jews in british Burma

Jean-Claude Nerson