La Rédaction a choisi de faire paraître dans notre « bulletin » la lettre exemplaire, de Monsieur Jean-Pierre Lombard, adressée au Directeur du Musée d’Auschwitz. Jean-Pierre Lombard, de confession catholique, né en 1947 a pris, à bras le corps, la cause des six millions de Juifs exterminés par les nazis. Son combat passe par une offensive épistolaire en adressant des courriers aux Autorités polonaises ainsi qu’aux rescapés les plus emblématiques de la Shoah. Ce combat est le nôtre et avec cette parution nous espérons y apporter notre contribution. La Rédaction

 

Monsieur,

Je me permets de m’adresser à vous pour vous faire part du profond malaise que j’ai ressenti lors de ma visite, l’été passé, au « tristement célèbre » camp d’extermination d’Auschwitz Birkenau.

Avant toute chose, permettez que je me présente. De confession catholique, né en 1947, mon grand père paternel a été déporté dans le cadre du travail obligatoire et quelques temps après mon père, âgé de 17 ans, a été appréhendé lors d’une rafle de maquisards et interné également. Bien que n’ayant pas subi les mêmes atrocités qu’ont vécues les déportés d’Auschwitz Birkenau, ils sont néanmoins revenus de cette déportation fortement marqués, tant dans leur chair que dans leur mental. Au cours de l’été 2013 j’ai entrepris 2 voyages.

Le premier, accompagné de 2 de mes petits-enfants, élèves en classe de troisième, nous a emmené à Berlin.

Au cours du trajet aller, nous avons fait une halte à Weimar, et comme la seconde guerre mondiale est au programme de la classe de 3ème j’ai emmené mes petits-enfants visiter le camp « d’extermination par le travail » de Buchenwald.

Je dois reconnaitre que, bien que n’étant restauré officiellement que depuis la réunification des deux Allemagnes donc bien peu de choses à visiter, la volonté de la population allemande de ne pas renier l’horreur de ce qui s’est passé sur leur sol est à louer.

Le second, accompagné par une amie polonaise, a porté mes pas en Pologne.

J’ai donc tout naturellement demandé à me rendre au camp d’extermination d’Auschwitz Birkenau.OLYMPUS DIGITAL CAMERA

Et c’est là que j’ai été ulcéré par la ­désinvolture et la banalité avec laquelle ce camp nous est présenté.

Il nous est demandé, en mémoire des privations subies en ces lieux, de ne pas manger lors de la visite, ce qui ne devrait même pas être précisé mais il est vrai que l’attitude de certains « touristes » nécessite ce rappel à l’ordre.

Aussi quelle ne fut pas ma surprise et mon incompréhension de trouver au sortir de l’un des blocks du camp d’Auschwitz une « échoppe » offrant friandises, boissons, et autres souvenirs.

Birkenau m’a laissé également un goût amer car le site est en train d’être ghettoïsé. Des constructions, pour le moment collectives (gymnase) sont construites aux abords proches de la clôture, mais dans quelques temps ce seront également des maisons d’habitation qui y seront construites et je suis persuadé que cela ne s’arrêtera pas là.

Les « installations » à visiter sont très restreintes et dans un état de délabrement. Les autres « installations », non visitables, tombent en ruine. La rampe d’accès, contrairement à tous les documentaires, ne comporte plus qu’une seule voie et l’état général du camp inspire l’abandon.

Des larmes de colère et de tristesse me sont venues aux yeux, respectées mais non comprises par mon amie.

Colère devant ce reniement des atrocités commises dans ces lieux par des humains à l’encontre d’autres humains en vertu d’une doctrine fasciste. Tristesse en pensant aux milliers d’êtres humains qui ont « survécu » ou qui sont morts dans cet endroit et qui, à présent, sont oubliés dans une indifférence quasi générale de la part des institutions polonaises. Et ce ne sont pas les quelques cérémonies de commémoration, véritable poudre aux yeux de monde, qui vont y changer cet état d’esprit qui les anime.

C’est une deuxième Shoah que le peuple juif est en train de vivre, l’extermination par l’oubli et comme il n’y a presque plus de représentants de confession juive dans la région, aucune voix ne s’élève pour dénoncer cet abandon d’un pan de l’histoire de ce peuple. Pour corroborer ces dires, des croix gammées et des tags antisémites ornent les murs des grandes villes. A Cracovie l’accès aux différentes pages de l’histoire de l’extermination de votre peuple sont quasi inexistantes.

L’accès à l’usine Schindler se fait en passant par un mauvais chemin passant sous un pont de chemin de fer et dont le sol est jonché de détritus en tous genres.

De retour de ce voyage j’ai fait partager mon indignation à trois personnalités rescapées de ce camp de l’horreur.

Je salue votre parcours, mais je me demande si c’est vraiment votre place à la tête du Lieu de Mémoire et du Musée d’État d’AUSCHIVITZ – BIRKENAU. Vous me semblez plus historien que vraiment gestionnaire d’un lieu chargé de tant de mémoire. Certes, votre religion et sans doute l’histoire de votre famille vous prédisposaient-elles à ce rôle mais croyez-vous vraiment que la mémoire soit affaire de religion et de compétences historiques, voire de politique.

L’article Wikipédia sur Auschwitz-Birkenau fait état de l’entretien du camp par le seul gouvernement polonais. N’est ce pas tout à fait normal qu’il assure cet entretien vu les fonds qu’il a retiré de la vente des millions de biens juifs laissés en déshérence après l’extermination des juifs polonais ?

Toujours dans le même article il est fait état du chiffre de 1,4 million de visiteurs payants. Pour mémoire la visite de Buchenwald, autre lieu tristement célèbre, est gratuite et les travaux de restauration de ce lieu de mémoire vont grand train.

Il est également fait état dans cet article d’un don, en décembre 2011, d’un montant de 6 millions d’€uros alloué par l’Autriche. De plus, je ne pense pas que l’UNESCO, Israël, la France, la diaspora juive aux États-Unis, l’Europe ainsi que bien d’autres pays ne vous « lèguent » pas des millions d’€uros sous forme de subventions. Je pense que, comme moi, tous ces Etats devraient se demander à quoi servent ces millions puisque le camp se détériore inexorablement.

Or en 2013, date de ma visite, point de grand chantier de restauration si ce n’est quelques étais en bois pour soutenir les murs des « baraques » du camp des femmes à Birkenau et éviter qu’elles ne s’effondrent, point de panneaux annonçant la réalisation de futurs travaux de restauration ou de réhabilitation.

Rien. La désolation de voir ce qui reste de cette « usine de la mort » et à nous d’imaginer ce que cet endroit a pu être. Vous allez sans doute me rétorquer que vous avez le projet d’agrandir le musée actuel.

Qu’est-ce qu’un musée ?

Pour Auschwitz, un lieu où seront stockés photos, documents, témoignages retraçant de manière froide et sans états d’âmes les atrocités qui ont été commises dans ce camp par des hommes à l’encontre d’autres hommes.

Mais qu’en sera-t-il de la véritable émotion qui est ressentie lors de la visite des « installations » et qu’on peut alors toucher réellement du doigt toute cette horreur. Je vous avouerais, que lors de ma visite, je n’ai pas pu toucher le moindre caillou, le moindre bout de bois, le moindre mur tant ces éléments, pour le moins anodins, sont couverts du sang, de la sueur et des larmes de ces gens qui ont « survécu » et qui sont morts dans les souffrances que l’on connaît en vertu d’une doctrine qui retrouve actuellement des adeptes.

Vous qui avez fait vos études à Strasbourg, vous avez dû profiter de votre séjour pour aller vous recueillir sur les lieux du seul camp d’extermination en France : le STRUTHOF, et peut être suivez-vous l’actualité de ce lieu de mémoire. D’importants travaux de restauration et d’entretien ont été et sont encore actuellement en cours pour restituer et préserver ce haut lieu de mémoire de la barbarie nazie.

J’avoue, pour ma part, avoir éprouvé plus d’émotion en visitant ce camp il y a quarante ans de cela qu’en visitant Auschwitz en 2013.

A l’heure où de plus en plus de voix s’élèvent pour nier la Shoah, par votre immobilisme vous allez réussir la plus belle opération de négationnisme de cette page tragique.

Lorsqu’il n’y aura plus qu’un musée à visiter, pensez-vous sincèrement que les agences de voyages de Pologne et de l’étranger feront encore le déplacement pour ne visiter que des vitrines ?

Alors qu’en sera-t-il de la manne providentielle des pèlerins (je considère, pour ma part le voyage à Auschwitz plus comme un pèlerinage que comme une visite) et, de ce fait vous n’aurez plus les moyens nécessaires pour réaliser vos grands projets « pharaoniques » où si j’osais, dignes du Même Reich et Auschwitz ne sera plus qu’un musée, ce que vous recherchez, et dès lors Auschwitz sera dans un premier temps banalisé puis retournera inexorablement à l’oubli.

Chaque pays, qui a plus ou moins grande échelle, a eu des ressortissants qui ont vécu les affres de la Shoah, offrent des lieux de mémoire et de recueillement, des centres de documentation aussi fournis que le vôtre si ce n’est plus.

Alors de grâce, oubliez les honneurs dus à votre fonction, ne reniez pas vos origines, ne pensez pas à vous mais retroussez les manches pour faire ce que l’on attend de vous : préserver cette page d’histoire afin que les générations futures n’oublient jamais ce qui s’est passé dans ces lieux dont vous avez la charge.

Alors vous serez digne de votre fonction et les rescapés, les familles des déportés et de simples citoyens concernés comme moi vous seront reconnaissants.

Je pense que la reconnaissance de tout un peuple est autrement plus méritante qu’une médaille, voire un poste au gouvernement, fusse-t-il celui de la culture.

Jean-Pierre LOMBARD